Si tu trouves un titre accrocheur t'auras le droit au la suite...

Je sais pas si tu es au courant mais la Côte d’Ivoire a vécu deux coups d’états et une guerre, bien loin de ce que vit le peuple syrien mais une guerre quand même. Pour la faire courte fin 2010 il y a eu des élections présidentielles et pendant quelques semaines nous avons eu 2 présidents. Si t’es curieux je te conseille la page de wiki qui résume assez bien en restant relativement objectif.  http://fr.wikipedia.org/wiki/Crise_ivoirienne_de_2010-2011

Je ne prendrai pas parti non plus, j’ai bien-sûr une opinion mais là n’est pas mon propos, je ne te ferai pas non plus un cours d’histoire, mon propos c’est juste de te narrer, comme j’aime à l’appeler, une « expérience de vie » en contextualisant si nécessaire.

Déjà entre les deux tours c’était hyper tendu, imagine toi être obligé de surveiller tes propos alors que tu as une grande gueule, la mienne est immense et comme me disait la défunte tante de l’Homme « ma bouche porte pas caleçon ». Sans commentaire. Après les résultats, comment te dire… c’était bizarre, il fallait vraiment faire attention à tes propos mais le pire, et je pèse mes mots, ce sont les rumeurs, rumeurs véhiculées par des abrutis voulant se rendre intéressant, je ne te dis même pas le nombre de fois où j’ai reçu un sms ou un appel me prévenant que l’assaut final était imminent. Le fameux assaut final a mis plus de 3 mois…

Je passe sur la fois où nous étions en voiture et que nous avons du faire demi-tour à 500 m de chez nous à cause de tirs lors du braquage d’une maison appartenant à l’autre camp, où la fois où j’ai piqué une crise alors que mes enfants et l’Homme se sont retrouvés bloqués pendant plusieurs heures à cause d’une attaque… Imagine une dinde, moi, pleurant et criant dans la maison en préparant les bagages pour se réfugier au Bima  (camp militaire français qui a accueilli les réfugiés). Tout ça avant l’assaut.

Avant la prise d’Abidjan par les hommes de l’actuel président la ville était quadrillée de barrage tenu par les hommes du président sortant, qui furent remplacer par l’autre camp après la prise d’Abidjan. Un barrage tous les 100 m. tenu par des gars illettrés parlant à peine le français (je rappelle que c’est la langue officielle, oui il y a des gens qui posent la question, donc je prends les devants) mais le pire ces mecs étaient armés et pas qu’un peu. Et non je ne te dis pas que l’armée de Ouattara était une bande de sauvage et celle de Gbagbo une troupe d’élite, mais ces derniers étaient des militaires de carrière, les autres étaient pour la plupart des villageois quelques semaines avant. Je ne compte plus les anecdotes concernant des contrôles de papiers tenu à l’envers et autres joyeusetés. Et puis pour être honnête ils faisaient vraiment peur, mais vraiment, t’as vu le faucon noir ? Blood Diamond ? T’imagine des gars sur des pick-up, avec mitrailleuse et cie avec des têtes d’assassins ? Ben t’as tout compris.

Parlons donc ami lecteur de notre « petite » guerre qui dura 10 jours, du 31 mars au 11 avril, pour commencer sache que tout a débuté le lendemain de l’anniversaire de ma dernière, connue aussi sous le nom de «Mamzelle  la Star ». J’ai été un peu prise par surprise, ben oui j’en avais tellement marre de l’ambiance anxiogène sur les chaines de TV ou sur le net, que je ne lisais ni n’écoutais plus rien, la TV française nous ridiculisant et prenant partis dès le départ, et même bien avant mais c’est une autre histoire et la TV ivoirienne voyant des signes dans les sauces, autour de la lune et autres...

Vivant dans un quartier résidentiel nous avons été relativement épargnés avant l’assaut, contrairement aux quartiers populaires. Nous étions dans une villa sur deux étages avec une petite terrasse donnant sur notre chambre, tu comprendras pourquoi je te donne ces détails plus tard. Dans la nuit du 30 au 31 mars nous avons passé une grande partie de la nuit à suivre la progression des troupes de Ouattara sur le net, l’angoisse au ventre. Je ne me rappelle plus quel jour c’est arrivé, mais je me rappelle chaque détails des premières rafales que nous avons entendu, l’Homme et moi sur la terrasse. Les enfants dans une petite piscine hors sol que nous avions acheté pour nous détendre alors que cela faisait plusieurs jours que nous ne sortions plus, la première on était pas sûr d’avoir bien entendu, la deuxième… je te laisse imaginer comment on a braillé pour faire sortir les gamins de la piscine, et là… le chaos dans la maison, les gosses qui hurlent, l’Homme qui les exhortent à monter à l’étage, moi à rester en bas pour éviter les balles perdues, la grande qui se planquent sous son lit, la nounou qui hurlent car sa fille est à l’autre bout de la ville… tu vois le tableau ??

Et là ce fut le début du cauchemar, impossible de sortir, les réserves de nourriture qui s’épuisent, heureusement j’avais fait un petit stock, on faisait notre pain, mais vient le moment où non seulement on a plus grand-chose dans le frigo mais pas d’argent non plus, les banques ont fermés pour faire pression sur Gbagbo et mon entreprise est en stand-by, ben oui va trouver des clients quand t’es traiteur pendant une guerre toi… Un voisin que l’Homme avait, au péril de sa vie quand même, récupérer alors qu’il était bloqué, nous a donné un peu d’argent pour faire des courses. Pour te montrer à quel point ce conflit est atypique, les combattants faisaient un cessé le feu tous les matins pendant plusieurs heures permettant aux gens de faire leurs courses. L’Homme va donc dans la ville d’à côté car il y a un élevage de porc et que les denrées coutent moins cher, enfin ça, c’était avant, les prix ont été multiplié par 3 voire 4 fois. Le prix du kilo de porc est passé de 1.4 euros à 5 euros en 5 mn. Mais bon faut manger. Je te passe les nombreux barrages qui à présent sont aux mains des hommes de Ouattara, l’Homme y verra sa vie sauve parce qu’il a négligé de changer les papiers de notre voiture, l’ancien propriétaire était originaire du Nord du pays, d’où viennent les nouveaux arrivants. Ça aurait été con de se faire tuer pour une plaque d’œuf, quelques kilo de porc et de riz…

La vie quotidienne pendant ces 10 jours… je lis, la nuit, je m’endors au petit matin quand les tirs cessent, nous passons des heures sur la terrasse à regarder voler les balles lumineuses parfois on dirait qu’elles viennent sur nous. Ça m’a rappelé la première guerre du Golfe sur la défunte 5. Par « chance » nous vivons à la Riviéra, regarde la ligne jaune du bas, le petit point, sur la carte c'est entre l’hôtel du Golfe où est réfugier Ouattara et le camp militaire d'Akouédo abritant une partie de l’armée de Gbagbo. Imagine le jour où celui-ci a été bombardé par l’armée française. Je te dresse à nouveau le tableau : l’Homme est dans la chambre, sur le net, à skyper avec un ami résidant quelques quartiers plus loin, moi lisant sur la terrasse, il est, je crois, environ 17h00. Un coup de tonnerre se fait entendre. Nous pensons que c’est le tonnerre. Ce n’est pas le tonnerre. Ce sont les premières bombes qui tombent… J’ai l’impression qu’elles tomberont pendant des heures. Et là, rebelote, hurlements pour faire monter les enfants dans la seule pièce qui n’a pas de fenêtre, le dressing, on essaie de mettre une planche que l’Homme a récupérer devant la porte fenêtre, j’attrape l’ordi pour rester connectée et une bouteille d’eau, des coussins, le tout à quatre pattes. Et là, les minutes, les heures les plus longues, les plus terrifiantes, les plus angoissantes de toute ma vie. Nous sommes assis sur un petit matelas, entassés les uns sur les autres pour se rassurer autant que par manque de place. Ils pleurent, demandent à repartir en France, ont peur de mourir. Moi aussi. Je pense à la bavure, la bombe lâchée par erreur sur notre maison. Je suis terrorisée. Mais je n’ai pas le droit de l’extérioriser, alors je me fais rassurante alors que je hurle de peur à l’intérieur, je leur assure que tout va bien se passer. Les fenêtres, peut être les mûrs, tremblent, j’ai l’impression que nous vivons nos derniers instants. Grâce à Dieu, Vishnou, Krishna, Allah, Bouddha et tous les autres nous restons en vie.

À aucun moment je ne me suis autorisée à péter les plombs devant les enfants, ha si, un seul. Le jour où  l’Homme est bloqué dehors et que je sais qu’il est près des combats qui font rage. Une de mes amies a passé trois jours dans sa cage d’escalier avec son bébé et sa sœur, son appart truffé de balles, l’Homme est allé les récupérer puis est reparti avec elle chercher son chien qu’elle n’avait pas osé prendre et la nourriture qui lui reste. Malheureusement 14h00 les trouve encore dehors. Ils évitent les balles pour monter dans l’appart et pour en redescendre. Prennent la voiture pour se retrouver au milieu d’un affrontement. L’Homme qui connait le quartier comme sa poche se réfugie dans une résidence, frappe à une porte qui voudra bien s’ouvrir. Un Saint leur ouvre et leur offre l’hospitalité dans son appartement où s’entassent déjà de nombreux réfugiés, où ils font à manger sur un fourneau à charbon dans le salon. On leur prend leur portable. La méfiance est de rigueur. Normal. On les installe dans la salle de bain, seule pièce encore disponible. Et pendant ce temps là… je pique LA crise d’hystérie du siècle, je n’ai plus de crédit sur mon portable depuis très longtemps, je skype avec mon cousin à Bordeaux, une amie à l’autre bout d’Abidjan, ma mère en Seine et Marne, ils tentent en vain de le joindre. Je chasse les enfants de ma chambre pour ne pas qu’il voit mon état. Je crise jusqu’à 18h00, heure où leur portable leur sera rendu afin qu’ils appellent mari et femme, oui le mari de mon amie est bloqué à l’aéroport depuis une semaine. Oui, la guerre n’a commencé que depuis une semaine et j’ai l’impression de devenir folle mais je suis rassurée, un peu. Dans la soirée on prête un ordi à l’Homme et on tchat sur Facebook, jusqu’alors nous avons refusé l’évacuation vers le BIMA, les valises sont déjà prêtes. Nous prendrons l’hélico demain matin.